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lundi 13 septembre 2010

Histoire : la guerre de Suez

Historama N° 32 d'octobre 1986


Le 26 juillet 1956, le colonel Nasser, président de la république égyptienne, nationalise le canal de Suez, douze ans avant la date fixée par les traités. La France et la Grande-Bretagne refusent le fait accompli et décident d'intervenir militairement. Le 5 novembre les paras français et britanniques sautent sur Port-Saïd. A l'occasion du 30e anniversaire de Suez, le général Jacques Massu, qui dirigea les opérations aéroportées et le débarquement de Port-Saïd, évoque l'affaire; une opération qui aurait pu être une grande réussite, et qui aurait sans doute changé le destin de la guerre d'Algérie ...

Général Jacques Massu

Il y a une dizaine d'années, avec la collaboration du colonel Henri Le Mire, qui avait vécu à mes côtés cette mésaventure, j'ai tenté de faire la lumière sur certains aspects mal connus de cette page d'histoire contemporaine. C'est ainsi que l'éditeur Plon a publié notre Vérité sur Suez 1956 en 1978. Nous y analysions les opinions les plus fantaisistes suscitées par l'événement.

Je me propose de rappeler l'essentiel de ce récit en l'actualisant, voire en rectifiant certains points.

Il faut d'abord se souvenir qu'en Egypte Nasser était, tout au moins pour nous, Français, sur le théâtre algérien, le Kadhafi chef du terrorisme: le nombre des victimes était plus élevé que celles du terrorisme libyen actuel. Par son discours du 26 juillet 1956 à Alexandrie, Nasser commet un véritable hold-up sur le canal. Il se conduit en héritier impatient, s'emparant, douze ans à l'avance, d'une fortune qui devait lui échoir, puisque l'acte de concession, signé par le vice-roi en 1856, avait donné à la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, créée par Ferdinand de Lesseps, le droit d'exploitation pour 99 années à compter de l'achèvement des travaux, c'est-à-dire jusqu'en 1968, l'ouverture du canal ayant eu lieu, en effet, en 1869. Ce coup d'éclat de Nasser fait suite à son refus d'adhérer au pacte de Bagdad, système d'alliances entre Etats faisant partie de la mouvance britannique chargé de contenir l'expansion soviétique vers le sud. Or le Royaume-Uni tient encore une forte position dans le monde arabe de l'époque.

Les Américains ne nous ont pas aidés

En Libye, c'est toujours le vieux roi Idriss. En Irak, le Premier ministre est Nuri al-Sa'id, qui, à Londres, au moment de la nationalisation du canal par Nasser, conseillera à Eden : Hit him immediately !

En Jordanie règne le roi Hussein, avec la Légion arabe de Glubb pacha, décédé cette année. En Syrie, al-Kuwwatli n'est pas le foudre de guerre ni le Machiavel qu'est actuellement Hafez el-Assad. Quant au Liban, encore dominé par l'intelligentsia chrétienne, il se consacre au commerce et à la banque.

Mais Nasser, qui éprouve une violente antipathie pour Eden, estime que c'est à lui que revient le rôle de leader de la nation arabe. Il veut rétablir l'indépendance en chassant les Britanniques, accomplir une révolution socialiste, régler la question israélienne. A Bandung, il apparaît comme une grande vedette, avec Tito et Nehru, pour les Etats du tiers monde. Par l'intermédiaire de Chou En-lai il obtient des Soviétiques un accord de livraison d'armes. Dulles est furieux, il refuse le financement du barrage d'Assouan, après y avoir mis des conditions inacceptables pour Nasser: ne plus acheter d'armes aux soviets et faire la paix avec Israël. Les Etats-Unis n'encouragent ni les Français ni les Britanniques dans leurs desseins belliqueux de réaction. Ils les empêcheront de développer leur offensive. Juste retour des choses, nous refusons, en 1986, le survol de notre territoire à leurs bombardiers en route vers Tripoli. Ce en quoi nous les gênons infiniment moins qu'ils ne le firent en 1956. Nous n'avons sans doute pas raison d'agir ainsi, mais ils eurent bien davantage tort en 1956. Ils ont la « mémoire courte» : personne n'a eu l'idée de le souligner. Cependant, l'attitude de Nasser, trente ans plus tôt, le conduit à recruter des pilotes étrangers, et le trafic sur le canal se normalise.

En Algérie, Nasser est l'idole des rebelles, il finance le F.L.N., héberge ses chefs et Radio Le Caire diffuse journellement des appels au meurtre d'une violence inouïe. Dans l'Hexagone, on n'écoute pas Radio Le Caire et on n'a aucune idée de son influence et des conséquences de ses discours hystériques. En Algérie on les constate, on les voit, on les touche du doigt, on leur a imputé la flambée terroriste de Philippeville, le 20 août 1955 : 123 victimes. L'obstacle principal auquel se heurte la pacification, en Algérie, n'est ni le terrorisme ni l'action de l'A.L.N. (Armée de libération nationale), c'est l'incrédulité de la population en notre détermination. On le verra bien en mai 1957.

Israël dans l'étau

Rappelons-nous les buts politiques d'Israël, de la Grande-Bretagne et de la France, quand ces trois pays veulent riposter à Nasser.

L'Etat hébreu se trouvait encerclé par une organisation militaire (Damas, Le Caire, bientôt la Jordanie) qui ne dissimulait pas ses desseins agressifs.

Dés 1945 l'Egypte appliquait le blocus au transit, par le canai, des marchandises en provenance ou à destination d'Israël. En 1953 une base militaire égyptienne était installée sur le cap Nazrani, qui bloquait la navigation israélienne dans le golfe d'Aqaba. En 1954 sévissait un terrorisme sous forme d'incursions à l'intérieur d'Israël, à partir des camps de feddayin autour de Gaza, ainsi que des territoires de Jordanie, de Syrie, du Liban. L'importance de l'armement déversé en Egypte par les pays de l'Est (300 chars lourds et moyens, 200 chasseurs Mig, 50 bombardiers Ilyouchine) ne pouvait qu'inquiéter Israël, qui prit contact avec la France par l'intermédiaire de M. Gilbert, notre ambassadeur à Tel-Aviv. Les livraisons de chars AMX et d'avions Mystère débutent en avril 1956.

La Grande-Bretagne cherchait à remplacer Nasser par un chef d'état moins hostile, mais en respectant un scénario de nature à sauvegarder la candeur British aux yeux de la conscience universelle. L'accord passé, en 1955, entre Londres et Le Caire spécifiait que, en cas de guerre mettant en danger la libre circulation sur le canal, l'armée de Sa Majesté aurait le droit de réoccuper les positions évacuées.

Quelque chose à prouver aux Algériens

Moshé Dayan fait accepter à Ben Gourion, réticent, le principe du scénario et expose son plan: « Le jour J, à 17 heures, Israël déclenchera une opération qui pourra passer pour une action de rétorsion limitée, tout en paraissant menacer le canal. Dans la matinée de J + 1, les gouvernements britannique et français exigeront qu'Egyptiens et Israéliens retirent leurs troupes de la zone du canal. Israël acceptera. L'Egypte, évidemment, refusera. Dans la soirée de J + 1, les forces aériennes alliées déclencheront leur offensive contre l'aviation égyptienne. »

Selwyn Lloyd, le patron du Foreign Office, admet le projet. Eden est d'accord pour qu'Israël envahisse le Sinaï, mais il a prévenu Tel-Aviv que si jamais Tsahal (l'armée israélienne) attaquait la Jordanie, les Anglais riposteraient. Ils l'auraient fait!

La France entend montrer aux Algériens de confession musulmane sa ferme intention de demeurer en Algérie, de manière à les faire« basculer de son côté» ; ce sera le cas, les 5 et 6 novembre, à la nouvelle de notre débarquement à Port-Saïd et Port- Fouad. C'est également dans ce but qu'est intercepté l'avion de Ben Bella, le 22 octobre, au-dessus de Maison Blanche. « Au scandale! » crie une certaine opinion. L'homme de la rue, lui, comprend et commence à nous respecter.

Auparavant les gouvernements de Londres et de Paris s'étaient mis d'accord sur certains principes de base, concernant le planning et l'organisation du commandement. Cet accord a fait l'objet du mémorandum du 8 août.

Le commandement de l'opération était confié aux Britanniques, dont le gouvernement, ainsi que celui de Paris, était chargé de la « conduite de la guerre », .les chefs étant Athony Eden et le général Templer, Guy Mollet et le général Ely.

Au-dessous, 4 échelons de commandement se superposaient :

- L'échelon commandement en chef interallié:

chef: général Keightley; adjoint et commandant en chef français: amiral Barjot,

- L'échelon théâtre Moyen-Orient:

commandant en chef naval: amiral Grantham ; commandant en chef terrestre : général Keightley ; commandant en chef aviation: général Pelly.

- L'échelon Task Forces:

force navale alliée: amiral Slater. (adjoint: amiral Lancelot) ; force terrestre alliée: général Stockwell (adjoint: général Beaufre, commandant Forces terrestres françaises); aviation alliée: général Barnett (adjoint: général Brohom, commandant Forces aériennes françaises).

Cet échelon dispose du Joint Opération Center (J .O.C.), état-major des opérations combinées, outil de travail sans patron:

- L'échelon Forces combattantes (Field Forces)

forces navales alliées; forces terrestres alliées: Butler, Massu; forces aériennes alliées.

S'il n'y avait eu qu'un seul échelon de commandement, l'infléchissement des opérations en fonction de la situation politique eût été beaucoup mieux réalisé. Or, dans cette affaire, tout était politique et les politiques française et britannique étaient très différentes.

Keightley et Barjot sont les émanations, à Chypre, des chefs d'état-major généraux Templer et Ely. Ils fonctionnent donc comme les centraux téléphoniques intermédiaires, acheminant vers leurs véritables destinataires les directives et les messages que les gouvernements adressent aux combattants pour orienter leurs actions.

« Dans cette affaire tout est politique, et les politiques française et britannique sont très différentes. »

Malheureusement, les politiques étant différentes, ces centraux, au lieu d'accélérer la transmission des ordres, vont les freiner. Lorsque Paris voudra presser le déclenchement des opérations, Barjot recevra des messages, qu'il transmettra à Beaufre. Mais, n'ayant ni l'un ni l'autre pouvoir de décision, ils devront solliciter l'accord de Keightley ou de Stockwell, qui s'en tiendront aux ordres de leur propre gouvernement. Stockwell confiera, dix ans plus tard, au Sunday Telegraph, qu'il « ne savait pas quand, où et comment il faudrait diriger les opérations, par suite de l'absence continuelle de directive politique ».

Dans cette cacophonie, un Français joua le jeu du bon sens. Le Mire et moi ne nous en étions pas aperçus quand nous avions rédigé notre ouvrage. Le général Gazin, un sapeur, était le chef d'état-major de l'amiral Barjot. Il avait été, en Indochine, celui du général Valluy. Dans le travail préliminaire, accompli dans le bunker sous-terrain de Londres pour élaborer les plans, c'est lui qui insista pour que l'objectif de l'attaque ne soit pas Alexandrie, ce qui nous aurait emmenés dans une campagne de deux semaines avant d'atteindre le canal, à condition de ne pas nous enliser dans l'énorme agglomération du Caire: il fit adopter Port-Saïd et le canal, objectifs et sujets du litige.

Ne pas laisser soupçonner la moindre préméditation

Le plan « Mousquetaire» de débarquement à Alexandrie devint ainsi le plan « Mousquetaire révisé ».

Pour attaquer Port-Saïd, on avait le choix entre la mer et l'air, ou les deux. Si l'île de Chypre devint la base des états-majors et des aéroportés, la flottille dut rester à Malte, Bône ou Alger, jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire l'ultimatum, en raison du « scénario », pour ne pas laisser la conscience internationale, les Arabes et les Egyptiens soupçonner la moindre préméditation ... Curieux, non? Quels étaient les moyens à transporter ?

Dans un premier temps:

- une division française parachutiste, la 10° D.P., la mienne, renforcée de 35 chars AMX et Patton;

- une brigade British de para, commandée par le brigadier Butler, renforcée d'une compagnie de chars Centurion, suivies immédiatement d'une division avec 96 Centurion, et, dans un délai de quelques jours, de 2 divisions blindées, dont la 7e D.M.R. française.

Sur le papier, le rapport des forces blindées serait de 3 contre 1. Le rapport des forces aériennes était déjà de 7 contre 1.

A Chypre, entre le 29 octobre et le 4 novembre, les missions sont réparties après bien des palabres.

On prévoit initialement le débarquement par mer de mon 1 er régiment étranger para, peu avant le premier saut d'un autre régiment. Dans l'esprit des Britanniques ne sont envisageables que débarquement et parachutage simultanés, le 6 novembre. Une fois à terre un dispositif franco-britannique progressera sur la rive ouest du canal, seule disponible. Le 30 octobre, les Britanniques admettent de me confier l'affaire, à condition que l'avant-garde, commandée par le brigadier Butler, soit anglaise, sous prétexte que les Français, débarquant à Port-Fouad, devront être transportés de l'autre côté du canal et que les Britanniques, axés sur Port-Saïd, seront « normalement» prêts avant eux.

« La guerre va finir et nous n'avons pas débarqué»

Sur ces entrefaites surgit l'imprévu: l'Armée de l'air égyptienne a été anéantie, et les premiers éléments israéliens ont atteint la limite des 10 miles. La guerre va finir et nous n'avons pas débarqué.

C'est alors que le général Gazin, conseillant au mieux l'amiral Barjot, le pousse à proposer aux Britanniques le plan « Omelette» : « On fait tout par parachutages. Les avions peuvent effectuer deux rotations, à la rigueur trois, dans la journée. Le matin, on largue deux régiments sur Port-Saïd et Port-Fouad; l'après-midi, un sur El-Kantara; le soir ou le lendemain matin, un autre sur Ismaïlia, et, le lendemain après-midi, un dernier sur Suez. L'aviation les appuie pendant le jour, matraquant les concentrations de chars ennemis; la nuit ils se mettent "en boule". Ça serait bien le diable qu'ils ne tiennent pas le coup jusqu'à ['arrivée de l'échelon amphibie. »

Le général Gazin avait également suggéré que l'assaut amphibie soit, lui aussi, avancé. Les marins, y compris l'amiral Lancelot, refusèrent parce que les dragueurs de mines, venant de Malte et de Bizerte, n'étaient pas encore arrivés. Gazin paria: « Il n'y a pas de mines. » C'est lui qui avait raison. Les états-majors de Chypre étaient parfaitement renseignés sur ce qui se passait dans le Sinaï et n'étaient donc pas excusables de perdre un temps précieux.

Le général Crousillac, alors capitaine de l'arme des transmissions, appartenait à la Mission X°, dirigée par le colonel Jean Simon (le général J. Simon est aujourd'hui chancelier de l'ordre de la Libération), au poste de commandement du général Moshé Dayan.

Il nous a certifié que la Mission Xe renseignait parfaitement Chypre - et aussi Paris - par l'intermédiaire de l'attaché militaire. En outre, le colonel aviateur Perdrizet faisait fréquemment l'aller-retour Tel-Aviv - Chypre et pouvait rendre compte, de vive voix, de la progression israélienne. Mais, Crousillac l'a noté, le renseignement, qui ne correspond pas aux idées préconçues, n'est pas pris en compte. Même Louis Mangin, du cabinet du président du Conseil, est allé à Tel-Aviv avant le déclenchement de notre opération et, au retour, s'est arrêté à Chypre, où il a vu le général Beaufre.

Tous ces renseignements, concernant la victorieuse offensive israélienne sur 3 axes, auraient dû permettre au général Beaufre de contrer les Anglais quand ceux-ci prétendirent qu'une photographie aérienne (ratée) indiquait que les défenses de Port-Saïd s'étaient considérablement renforcées.

Le 3 novembre, après les dernières tergiversations britanniques, dues, en particulier, à l'hostilité de l'amiral Mountbatten à l'opération (depuis Londres), le plan « Télescope », préparé par mon état-major est accepté. Les parachutages sont fixés au 5 novembre, et le « beachage » au 6.

Le 4, après une dernière réunion matinale autour du général Beaufre, sur le cuirassé Jean-Bart, le 1er régiment étranger parachutiste, mon état-major et moi embarquons à Limassol sur les diverses embarcations du G.A.F.I. (Groupement amphibie des forces d'intervention), qui va progresser sagement derrière ses escorteurs.

Opération doublement réussie

Sur le L.C.H. de commandement de la flottille, surchargé par mon état-major, le silence radio absolu a été décrété jusqu'à l'heure H, c'est-à-dire le 6 novembre à 8 heures du matin.

A l'aube du 5, nous apercevons, très loin, au ras de l'horizon, une trentaine d'avions filant en formation serrée vers le sud. C'est le colonel Chateau-Jaubert, dit Conan, et la moitié de son régiment d'appelés coloniaux qui se hâtent vers la D.Z. de l'usine des eaux. J'avais fait adopter, le 1 er novembre, cette zone de saut, comme étant la mieux protégée et la plus proche du débouché vers le sud, alors que les Britanniques vont sauter sur le terrain d'aviation Gamil, au nord-ouest de Port-Saïd.

L'après-midi du 5, le lieutenant-colonel Fossey-François, avec la seconde moitié du 2e régiment de parachutistes de l'infanterie de marine, sautera sur Port-Fouad. Opération doublement réussie, malgré une honorable résistance égyptienne.

Le 6, à 7 h 30, le 1er R.E.P. touche la plage de Port-Fouad, où le lieutenant-colonel Fossey-François accueille le colonel Brothier. A 8 h 15, un message du général Beaufre nous conseille de débarquer le maximum de monde et de matériels sur la rive occidentale, « si la situation le permettait ». Un peu tard. Les impératifs techniques de transbordement du R.E. P., les complications du déchargement des L.S.T., etc., me font penser que, en basant tout sur l'aviation par parachutages, l'utilisation du Gamil, l'aérotransport par pont aérien, l'emploi d'hélicoptères, je serais déjà à El-Kantara, et mon 1er régiment de chasseurs parachutistes, à Ismaïlia. Pensée que j'ai traduite en disant à Beaufre, qui ne m'a pas compris: « Toutes ces histoires de marins, c'est démodé. »

Dans cet après-midi du 6, j'étais seul à manifester de l'impatience. Lorsque, vers 18 heures, le général Beaufre quitte l'usine des eaux, où nous étions réunis depuis 16 h 45 avec Butler et Conan, il me crie : « A demain matin à El-Kantara ! » Sa vedette démarre pour le ramener à bord du Gustave-Zédé, qui l'attend en rade ... en principe. A ce moment, on m'apporte un message émanant du commandant de l'escadron AMX du 1 er R.E.P. : « Suis mis disposition Britanniques pour mission dans localité. » Stockwell devait savoir que l'ambition de son gouvernement se limitait à la prise d'un gage, la ville de Port-Saïd.

Cependant, à l'aérodrome de Timbou, à Chypre, le 3e régiment de paras coloniaux, aux ordres du lieutenant-colonel Lenoir (Bigeard, son colonel, a été victime d'un attentat en Algérie), attend sous les ailes des avions, tous matériels déjà chargés, un ordre de décoller qui ne vient pas. Lenoir est aux ordres du général Gilles, qui commande l'O.A.P. (Opération aéroportée), et les Britanniques contrôlent les aérodromes. Je ne commande mes troupes qu'après les avoir reçues au sol.

Le transbordement du R.E.P. d'une rive à l'autre du canal ne se termine qu'à 22 heures, heure à laquelle j'envoie Le Mire au P.C. de Stockwell réclamer mes AMX pour le débouché du matin. Stockwell est loin en mer, sur la Tyne.

Le Gustave-Zédé a également piqué au large sans attendre Beaufre, sur ordre de l'amiral Slater « à cause de la menace atomique» brandie par Boulganine. A 23 h 40, heure locale, Buttler reçoit de Stockwell confirmation du cessez-le-feu et l'ordre d'atteindre el-Cap, au kilomètre 35, avant minuit. Mais on lui retire le 2e bataillon de sa brigade pour action éventuelle de nettoyage de la ville, la grande « inquiétude » de Stockwell. J'étais ainsi que mon chef d'état-major, le colonel Godard, à côté de Butler quand ce message lui parvient.

Le 1er bataillon de para anglais, débarqué le matin, est enfin arrivé, ainsi qu'un escadron de Centurion. Butler va rouler jusqu'à apercevoir, dans le lointain, les lumières d'El-Kantara. Il aura été retardé par la rupture d'une chenille d'un Centurion qui s'est trouvé bloqué en travers de la route, unique et étroite, entre deux lacs.

L'amiral Barjot ou moi-même pouvions-nous désobéir aux ordres de cessez-le-feu? Un chef peut désobéir sur le terrain, parce qu'il s'agit de décisions militaires, et que celui qui est au contact juge mieux que celui qui est loin, mais il ne peut désobéir lorsqu'il s'agit de décisions politiques, parce qu'il ne connaît pas toutes les données du problème.

Alain Decaux se trompe, dans son émission télévisée, lorsqu'il décrit l'affolement du pouvoir à la réception du message soviétique menaçant Paris de représailles par fusées atomiques. Il n'existait pas, à l'époque, de fusées suffisamment performantes pour concrétiser cette menace.

Le journaliste Mohammed H. Heykal, ami de Nasser, a raconté la visite du président syrien al-Kuwwatli à Moscou, le jour où nous attaquions l'Egypte. Comme il suppliait Khrouchtchev et Boulganine d'intervenir, le maréchal Joukov lui exposa brutalement l'impossibilité où il se trouvait de pouvoir intervenir rapidement. Mais les trois hommes promirent de « faire du cinéma» et de menacer les Alliés. Le chantage américain au pétrole et à la livre sterling fut plus efficace.

En conclusion, l'expédition franco-britannique de Suez 1956 fut le triomphe de l'anti-liaison, dans un monde où la liberté d'action n'est pas l'apanage que des plus forts et où la réussite d'une telle intervention ne pouvait donc dépendre que de sa surprise et de sa vitesse.

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